jeudi 14 janvier 2016

Gaspard de la nuit 1



Fantaisies à la manière de Callot et Rembrandt
précédées de lettres d'Aloysius Bertrand et David d'Angers

Nouvel Office d'édition
4, rue Guisarde
Paris

Edition 1965

----------
Aloysius Bertrand
(Louis Jacques Napoléon BERTRAND)
Né le 20 avril 1807 à Ceva dans le Piemont
décédé le 29 avril 1841 à l'hôpital Necker à Paris
Dramaturge et journaliste français
Précurseur du poème en prose
Gaspard de la nuit est une édition posthume de 1842 ( édité par son ami  David d'Angers).
----------

Lettres à son ami David d'Angers

Lettre 1

Paris, le 18 septembre 1837.
          Monsieur,
          Si vous avez oublié le jeune poète qui signe son nom au bas de cette lettre, il n’a pas oublié, lui, avec quelle bonté vous lui avez offert, il y a dix-huit mois, votre amitié. Hélas ! Vous ne saviez pas, lorsqu’un soir vous me serriez si chaleureusement la main chez le libraire Eugène Renduel, et lorsque, quelques jours après, vous daigniez monter chez ma mère, demandant, moi sorti, à me voir, non, vous ne saviez pas à quels combats ma douloureuse existence était alors livrée. J’eus honte de vous laisser deviner les souffrances de mon intérieur, et, courbant le front devant une nécessité impitoyable, j’ajournai les relations d’une amitié qui m’eût été bien chère au temps où un peu de gloire, aurait absous mon honnête pauvreté. Vous dûtes me reprocher un grave oubli, ou m’accuser d’une profonde ignorance des égards sociaux. J’étais moins impoli que malheureux.
          Eh bien ! Monsieur, les jours se sont écoulés, et mon jour n’est pas venu. Je ne suis encore que le ver qui dort dans sa chrysalide, attendant que le pied du passant l’écrase, ou qu’un rayon de soleil lui donne des ailes. Gaspard de la Nuit, ce livre de mes douces prédilections, où j’ai essayé de créer un nouveau genre de prose, attend le bon vouloir d’Eugène Renduel pour paraître enfin cet automne, et un drame à peu près reçu à la Porte Saint-Martin, n’a guère la chance d’être joué que cet hiver. Comprenez, Monsieur, à l’effort que je fais aujourd’hui en vous écrivant ces détails, toute la fatalité de ma position. Un homme à qui je dois une centaine de francs s’est présenté chez moi ce matin pour me les réclamer avec une insistance et une brutalité qui m’ont réduit au désespoir. Plongé dans une vie contemplative, cloîtré dans l’étude et dans l’art, isolé, inconnu à tous, c’est avec un serrement d’angoisse inexprimable qui refoule tout mon sang vers mon cœur, que je vous confie ma peine. Vous serait-il possible, Monsieur, de me prêter cette somme de cent francs qui vous serait fidèlement rendus avant la fin de l’hiver ? Ah ! Monsieur, l’intérêt que vous m’avez témoigné ne serait-il qu’une illusion, ou ne me serait-il plus permis de m’en souvenir ?
          Que vous dirai-je ici du Panthéon ? Les magnifiques pierres qu’a sculptées votre ciseau sont une œuvre admirable d’artiste qui redira à la postérité une belle action de citoyen.
         J’aurai l’honneur de venir vous remercier dès que j’aurai un peu renoué mon fuseau à ma quenouille, dès que j’aurai un peu secoué les ennuis qui m’assiègent dans ma retraite.
          En attendant, je vous prie de croire à ma vive reconnaissance et à mon profond respect.
Louis BERTRAND
Chez ma mère, rue de Beauce, 10, au Marais



A suivre...

Violette W-R le 14 janvier de l'an 2016




1 commentaire: