dimanche 17 janvier 2016

Gaspard de la nuit 4


Lettre IV
de Aloysius Bertrand à David d'Anger


Hôpital Necker, 2 avril 1841.

Mon cher ami,

          Pour l’amour de Dieu, donnez-moi de vos nouvelles. Que je sache au moins que vous êtes en pleine voie de guérison, et qu’il n’y a pas eu de rechute. Enveloppez-vous bien de flanelle, et prenez garde au froid. – Votre silence m’inquiète et m’attriste à la fois dans la solitude où je suis.

          Je suis dans les poisons les plus violents. C’est avec de l’acide prussique qu’on me travaille maintenant ; ce matin j’ai répondu comme un hébété au médecin, lui donnant les mots les uns pour les autres. J’ai bien de la peine à vous écrire ceci, et si je n’y mettais la plus grande attention, vous pourriez bien remarquer dans ma lettre plus d’une absence d’esprit. L’opium, la belladone, la jusquiame m’offusquent singulièrement le cerveau.

          Je suis dans un moment de calme, mais il n’y a pas un quart d’heure que j’ai failli me trouver mal. Le vinaigre est venu heureusement à mon secours. C’est bientôt l’heure où les envies de vomir, produites par une tisane (émétisée) dite orangée, vont commencer à me soulever l’estomac terriblement et sans résultat, ce qui durera jusqu’à huit heures. Alors le supplice de la nuit. Une potion infernale qui me casse bras et jambes. Je l’ai étrennée la nuit dernière, et elle m’a ôtée la moitié de mes forces. Le médecin veut sans doute m’affaiblir, me trouvant trop fort, pour que les syncopes amènent plus facilement une vomique.

          Mes yeux se troublent et se remplissent d’éclairs. C’est assez, c’est trop.
L. BERTRAND.
          Qu’est-ce que je vous ai dit dans ma dernière lettre ? Je l’ai complètement oublié. Vos oranges étaient excellentes. Ma mère vous a-t-elle convenablement remercié de ma part ? Je voulais vous demander quelques livres ou une livraison ou deux de la Revue de Paris, si vous avez cela par exemple ; mais je ne sais pas comment je serai demain.


Violette W-R le 17 janvier de l'an 2015

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