L’hiver de janvier
était là avec toute sa transformation blanche. Les branches du majestueux et
unique sapin du jardin se déguisaient et ployaient sous la masse de neige gelée.
Quelques traces de pas témoignaient du passage du médecin en ce lugubre matin.
La femme au regard éploré, empli d’un
amour infini, fermaient les yeux du patriarche, son père. Le cœur trop faible,
impossible à régénérer, du vieil homme, n’avait pas résisté au retour de sa
petite-fille, après une disparition soudaine cinq ans plus tôt.
Avant le drame du kidnapping, la
jeune- fille en pleine adolescence, le visage auréolé de cheveux blonds
bouclés, pleine de douceur et de délicatesse, venait vers lui tous les matins
et lui donnait un baiser sur le front en disant « Mon papinou je t’adore… ». Quel changement ! La
chenille ne s’était pas transformée en papillon mais en cafard ! Une
éclosion maléfique, un visage aux yeux de braise au crayon noir, une chevelure couleur
geai en broussaille, une véritable évolution dans le macabre, une gothique quoi !
Nicky et son père, pendant ces années
pénibles, avaient harcelé les forces de police pour retrouver Lucie et recevaient
inlassablement la même réponse : « Nous
faisons le maximum…Dès que nous aurons des nouvelles, nous vous préviendrons… »
Le père de Lucie, éperdu de douleur, sombrait dans le négativisme et ne
soutenait guère son épouse. Il lui reprochait d’avoir trop gâté leur fille, de
lui avoir laissé trop de liberté. Il croyait à une fugue due à la fréquentation
de la jeunesse du quartier au climat néfaste. Une vérité bien travestie pour
supporter sa douleur : trouver un bouc émissaire à la situation.
Et voilà que par magie, un jour, comme
le lapin sorti du chapeau, leur fille réapparaissait vêtue d’un long manteau
noir laissant apparaître une mini-jupe noir et blanc, sur un collant opaque et
des chaussures ridicules qui claquaient sur le sol du vestibule. Ses premières
paroles :
« Salut
la compagnie ! Inutile de me lorgner comme çà, je ne suis pas un fantôme ! »
Nicky se tenait au chambranle de la
porte, incrédule, incapable de prononcer une parole. Elle ne reconnaissait pas
Lucie en cette fille vulgaire….
« Allons
la mère, tu ne vas pas tomber dans les pommes quand même ! »
Son père la fixa, le cœur serré,
incapable de s’approcher d’elle :
« Lucie, tu disparais toutes ces années, sans un mot, sans une
explication, où étais-tu ? Où vivais-tu ? Tu n’avais pas encore
quinze ans lors du rapt ! Explique… »
« Oh ! Le père ! Ne
monte pas sur tes grands chevaux ! Je ne suis plus une gamine ! Et je
n’ai jamais été enlevée ! J’ai pris mon envol parce que mon copain
quittait la région…. Comme il avait eu des ennuis avec les keufs, on se cachait…. Il
est en taule maintenant et moi je suis enceinte et pour assumer la grossesse il
me faut du fric et le « Vieux » en a»
Quand le grand-père lui mit le marché
en main, il lui donnerait de quoi vivre à condition qu’elle change d’allure,
elle répondit furieuse :
« Dis donc le Papinou, tu
comptes faire quoi de ton fric quand tu seras six pieds sous terre ?
Il vaut mieux que j’en profite maintenant, pendant que je suis encore jeune !
A ton âge tu n’as plus besoin de rien ! »
Le grand-père
voulut répondre vertement à Lucie mais il se sentit mal, une douleur atroce lui
prit la poitrine dans un étau et il s’écroula.
Tandis que Nicky appelait le médecin,
Damien jeta un regard furieux à sa fille qui rétorqua :
« Eh !
Il ne faudrait pas me mettre çà sur le dos ! Il va s’en remettre, il est
résistant ! »
Elle reçut une magistrale gifle
Surprise elle ne réagit pas tout de suite puis :
« Je vois que c’est toujours
pareil ici ! C’est toujours le Vieux qui décide de tout et qui a droit à
tous les égards ! Je vous laisse à votre vie de petits bourgeois, je me
taille… Mais je reviendrai… »
Nicky voulut la rattraper mais Damien
la retint :
« Reste près de ton père, c’est
plus urgent…. Elle n’est pas venue en voiture donc elle doit habiter dans notre
ville… Nous la retrouverons… »
Une heure plus tard le vieil homme s’éteignait.
La neige continuait de tomber et avait presque effacé les dernières traces de
pas.
A suivre...
Pour jeu d'écriture chez ASPHODELE
Les mots imposés :
Changement - incrédule/lité - papillon - régénérer - chenille - climat - déguiser - évolution - magie - adolescence - transformation - grossesse - éclosion - cafard - amour - travesti - majestueux - éphémère - envol - éperdu
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