vendredi 15 janvier 2016

Gaspard de la nuit 2


Lettre II à David d'Angers

Hôpital Necker, 24 mars 1841.

          Mon cher monsieur David, 
          mon père, mon ami.

          Je soupire après vous comme le cerf du désert après les fraîches fontaine de la Bible. Un subit et violent dévoiement (pardonnez-moi l’expression) m’a jeté dans une si grande faiblesse que j’ai peine à soulever la couverture de mon lit pour me retourner. Si ma maigreur continue, je ne tarderai pas à ressembler au squelette de fer de Saint-Sulpice. Ah ! si j’avais seulement le tiers de l’embonpoint de l’écorché de Houdon ! Le dévoiement a fait suspendre ou supprimer la potion stibiée – voilà où j’en suis, ô le plus indulgent des amis ! ô homme simple et antique dont le type ne se retrouve plus que dans Plutarque ou dans les marbres grecs et romains de votre atelier !

          M. Bricheteau, qui s’était fait suppléer depuis quatre jours par son interne, était de retour ce matin dans la salle. Il m’a dit que vous étiez allé le voir, qu’il n’était point à Paris, quand vous avez déposé votre carte chez lui, et il m’a témoigné combien il regrettait que son absence l’eût privé de l’honneur de s’entretenir avec vous.

          L’interne de la salle, qui est d’Angers, m’a demandé avec feu de vous être présenté. Il désire ardemment savoir le jour et l’heure où vous viendrez. – En résultat, votre démarche, je n’ai pas eu de peine à m’en apercevoir, a produit le meilleur effet, et m’a semblé à la fois engager son amour-propre comme médecin et stimuler son intérêt pour moi comme homme.

          J’ai un pied et demi dans la fosse, mais je suis tranquille et résigné comme un malade en qui va s’éteignant la passion en même temps que la vie. Si je n’ai pas le traité de l’immortalité de l’âme sous mon oreiller, le l’ai là, dans mon cœur. – J’attends et je ne compte sur rien, je n’espère ni ne désespère trop. J’ai confiance complète en mon médecin. La Providence fasse le reste !

          Il a fallu m’y prendre à plus de dix fois pour écrire cette lettre. Et maintenant voilà que je retombe exténué sur mon oreiller ! Oh ! que je suis exténué à fond !

          Tout à vous, c’est-à-dire tout un cœur reconnaissant et fidèle. Quant au corps, ne parlons pas de ces tristes lambeaux.
L. BERTRAND


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Encore une bien triste lettre,

Violette W-R le 15 janvier de l'an 2016

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