jeudi 30 janvier 2014

Tristesse de Paul Géraldy




Ton Passé !... Car tu as un passé, toi aussi!
Un grand Passé, plein de bonheurs et plein de peines
Dire que cette tête est pleine
de vieilles joies, de vieux soucis,
d'ombres immenses ou petites,
de mille visions où je ne suis pour rien!
Redis les moi toutes ces choses cent fois dites.
Tes souvenirs, je ne les sais pas encore bien.
Ah! Derrière tes yeux, cette nuit, ce mystère.


Ainsi c'est vrai qu'il fut un temps où quelque part
tu gambadais dans la lumière
avec de longs cheveux épars,
comme sur ces photographies !
Raconte-moi. C'est vrai ? C'est vrai?
Tu fus pareille à ce portrait
où tu n'es même pas jolie ?
Explique. En ce temps là, qu'est-ce que tu faisais ?
Qu'est-ce que tu pensais ? Qu'est-ce que tu disais ?
Que se passait-il dans ta vie ?
Ce grand jardin a existé, qu'on aperçoit ?
De quel côté était la grille ?
Es-tu sûre que ce soit toi
cette affreuse petite fille ?

Ce chapeau démodé, ce chapeau d'autrefois,fut ton chapeau ? Tu es bien sûre ?
Et toutes ces vieilles figures,
ce sont les gens qui te connurent avant moi ?
C'est à ces gens que tu dois ton premier voyage,
ta première nuit dans un train,
ta première forêt, et ta première plage ?
C'est eux qui t'ont donné la main, et qui t'ont prêté leur épaule
et qui t'ont dit : "Regarde là..."?
Hélas ! pourquoi tous ces gens là
ne m'ont-ils pas laissé ce rôle ?
J'aurais tant aimé t'emporter

Loin, toute seule et t'inventer 
de merveilleux itinéraires!
Je t'aurais révélé les soirs et les étés,
appris le goût des longues routes solitaires
et dit les noms de beaux villages aperçus.
Je t'aurais présenté la terre.
Je crois que j'aurais très bien su.
Et de tant d'horizons splendides,
de tant de villes, de pays,
peut-être aurait-il rejailli
un peu de gloire sur le guide...
Ah tous ces gens, petit chéri,
savent-ils bien ce qu'il m'ont pris ?
C'est fini. l'on n'y peut rien faire.

C'est l'irréparable. Voilà.
Et cependant tous ces gens-là
ont l'air de gens très ordinaires.
Sois certaine qu'entre nous deux
Si nous sentons aussi souvent des différences,
ce n'est qu'à cause d'eux, oui d'eaux
qui, sous prétexte de vacances
te menèrent de-ci, de-là,
et mirent leur empreinte, avant moi, sur ta vie...
Ne pensons plus à tout cela.
Range-moi ces photographies.

( de Paul Géraldy extrait de "toi et moi")


Un instant de nostalgie et de mélancolie


Dame mauve le 30 janvier 2014


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